www.athle.fr
Accueil
cot - commissions des officiels techniques

Le saut en longueur de Bianca Kappler à Madrid
J’ai déjà eu, à propos d’une réclamation russe contre un saut de Romain Mesnil en Coupe d’Europe, l’occasion d’évoquer le traitement des réclamations par le jury d’appel à la suite de la contestation d’une décision prise par le juge-arbitre et la possibilité d’utiliser toute preuve vidéo disponible (règle 146.3) pour revenir sur une décision : voir Athlé Mag, n° 471 de juillet-août 2004, page 54.

La finale du concours de saut en longueur féminin à Madrid le samedi 5 mars 2005 à l’occasion des derniers Championnats d’Europe en salle en donne une nouvelle illustration.

Que s’est-il passé ?

Après 5 essais, la portugaise Naide Gomes était en tête avec un saut de 6m70 devant la grecque Stiliani Pilatou 6m64 et la roumaine Adina Anton avec 6m59.

Au 6ème essai, l’allemande Bianca Kappler réalise un saut mesuré à 6m96. Stupeur chez les autres concurrentes. L’allemande elle-même, voyant le tableau d’affichage, va voir les juges pour leur dire que les autres filles ont raison et qu’il y a probablement erreur mais les juges ne veulent rien entendre : l’appareil de mesurage marche très bien et il est hors de question de changer quoi que ce soit malgré le fait que l’allemande elle-même insiste pour dire qu’elle n’a pas pu faire ça et valident la performance. Le concours se termine avec l’allemande vainqueur avec 6m96.

Les autres concurrentes, portugaise en tête, réclament alors au juge-arbitre des concours (Simon Iglesias Gutierrez) qui après examen de la bande vidéo, décide d’annuler la performance de l’allemande. Comme il est impossible de lui donner une performance pour cet essai et qu’elle a donc une tentative de moins que ses concurrentes, il lui accorde (en se basant sur la règle 125.5) un nouvel essai qui, après consultation des Délégués Techniques et du Comité d’Organisation est fixé au lendemain à 16h00, avec les mêmes conditions que celles initialement prévues (piste d’élan, aire de chute, appareil de mesure et jury).

Fin du premier acte.

Entre-temps, la télévision allemande a évidemment diffusé de nombreuses fois le fameux saut et Bianca Kappler et la délégation allemande ont pu se rendre compte que ce saut était aux alentours de 6m60 et l’Allemagne a posé une réclamation le lendemain matin au prétexte qu’il n’y aurait pas la même motivation en sautant toute seule un saut que lors d’une compétition âprement disputée.

Le Jury d’Appel a alors été convoqué et son Président, Jorge Salcedo (portugais) a souhaité s’en retirer (le Portugal étant concerné au premier chef) et a été remplacé par un autre membre du Conseil de l’AEA (le Chypriote Antonios Dracos tandis que l’autrichienne Erika Strasser prenait la Présidence).

La décision est tombée à midi et demi après un très long et très minutieux examen de tous les enregistrements de la TV de tous les sauts et en les superposant après avoir divisé l’écran en 2 (la technique permet pas mal de choses aujourd’hui). Elle a été rendue officielle après s’être assuré que l’Allemagne acceptait la décision.

Le Jury a décidé d’examiner le point n°4 de la réclamation allemande.

Il a d’abord écouté  l’opérateur de l’appareil SEIKO (Alvares Biescas, un membre du jury confirmé) et décidé que l’appareillage fonctionnait correctement, sans aucun doute.

Il leur est alors apparu que le point d’impact utilisé pour mesurer le saut était manifestement erroné.

Après examen des vidéos, ils ont noté le remarquable fair-play de l’allemande et son comportement sportif à tout point de vue.

Il a été clair que la performance de 6m96 est erronée et que le Juge-Arbitre a eu raison de l’annuler.
Malheureusement, il n’est pas possible de connaître la performance exacte de son 6ème saut.
Il n’est pas correct de priver aucune des trois athlètes ayant réalisé les trois meilleures performances mesurées de leurs médailles.

Par ailleurs les enregistrements montrent à l’évidence que Bianca Kappler aurait obtenu une médaille si son saut avait été correctement mesuré.
Tous ces faits ajouté avec sa remarquable conduite sur le plan sportif et du fair-play ont convaincu le Jury d’Appel d’accepter partiellement la réclamation allemande et d’éviter à l’athlète de recommencer son 6ème saut.
Il a décidé d’attribuer une médaille de bronze supplémentaire à l’allemande, en plus de celle déjà remportée par la roumaine qui, elle, possédait la 3ème performance régulièrement mesurée.
Le Jury d’Appel est persuadé d’avoir résolu la question en totale impartialité pour tous les participants, en accord avec l’esprit de la compétition.

La décision du Jury d’appel a été prise à l’unanimité.